Et si l’inter-cabinet était en fait une obligation déontologique ?

"Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras." Ce vieil adage populaire traduit une idée simple : Il vaut mieux une certitude imparfaite qu’une promesse incertaine. Appliqué au milieu économique, il suggère qu’il est préférable de recevoir moins tout de suite plutôt que d’espérer plus un jour.

 

Cette formule n’est pas sans faire écho à un article publié en 2023, dans lequel ImmoMatin citait un professionnel affirmant que "mieux vaut percevoir 50 % des honoraires que rien du tout". Mais là encore, la réflexion n’est que pécuniaire, économique, en somme réduite et limitée.

 

Certes, elle est réaliste et il est clair qu’une activité commerciale doit nécessairement s’intéresser aux chiffres pour fonctionner. Cependant, elle révèle surtout la dérive du débat : la réduction de la collaboration inter-agences à une question de partage de commission, alors qu’elle relève d’abord d’un enjeu éthique et déontologique.

 

Car l’inter-cabinet n’est pas une stratégie commerciale, mais une exigence morale : celle de placer l’intérêt du client au-dessus de tout et d’accepter qu’un métier de conseil ne peut s’exercer durablement sans coopération.

 

En France, l’expression "la bonne affaire" est trop souvent employée en sous-entendant l’envie, consciente ou non, de léser l’autre partie. En effet, l’acquéreur est fier d’avoir acheté très en dessous du marché et le vendeur heureux de raconter qu’il a vendu bien au-dessus.

 

Chez Baron Habitat, nous cherchons toujours à aboutir à ce que nous appelons le "good deal" : une transaction équilibrée où tout le monde y trouve son compte. L’acquéreur réalise son projet au bon prix, le vendeur vend dans des conditions cohérentes avec le marché et les professionnels sont justement rémunérés. (Nous reviendrons plus en détail sur cette notion dans un article dédié.)

 

À Lorient, comme dans l’ensemble du Morbihan, les agences immobilières (et autres mandataires) sont confrontées à une réalité commune : un marché mouvant, des clients mieux informés et un besoin croissant de transparence.

 

Dans ce contexte, refuser de collaborer n’est pas une marque d’indépendance, mais un signe d’archaïsme.

 

L’enjeu n’est donc pas de savoir si l’inter-cabinet doit exister, mais de comprendre pourquoi il s’impose comme un devoir professionnel.

 

Et c’est bien là que l’inter-cabinet prend tout son sens : non pas comme un arrangement commercial entre confrères, mais comme une expression de loyauté, de transparence et de respect de l’intérêt du client.

 

Dans un marché de plus en plus exigeant, à Lorient, dans le Morbihan comme ailleurs, la collaboration entre agences n’est pas une option. Elle est le prolongement naturel des valeurs que la profession revendique : conscience, probité, sincérité et loyauté.

 

En réalité, il apparaît que l’inter-cabinet, non content de se présenter comme un choix rationnel et bénéfique pour tous (I), s’avère également revêtir les atours d’un devoir non seulement moral, mais déontologique (II).

 

I. L’inter-cabinet, un choix rationnel et bénéfique pour tous

 

Avant d’être un concept éthique, la collaboration inter-agences est une question de cohérence. Elle répond autant à une logique économique (A) qu’à une logique de service sans surcoût (B).

 

A. Un positionnement utile d’un point de vue économique

 

Une transaction réussie à deux vaut toujours mieux qu’une vente avortée en solitaire. Travailler en inter-cabinet, c’est accepter de partager la réussite. C’est diviser une commission, mais multiplier les chances de conclure rapidement et dans les meilleures conditions pour le vendeur et l’acquéreur.

 

Dans un marché local comme celui du pays de Lorient, où la confiance et la réactivité sont primordiales, l’ouverture entre confrères et consœurs permet de fluidifier les transactions, de raccourcir les délais et de sécuriser son chiffre d’affaires et sa trésorerie. Une plus petite part de gâteau, mais un gâteau servi plus souvent.

 

À l’heure où la satisfaction client repose sur la rapidité et la fiabilité, cette logique n’est pas un calcul de marge, mais une gestion intelligente de la valeur. Ce sont ces valeurs qui permettent à chacun, collectivement, de célébrer une belle opération. Ainsi, l’inter-cabinet est l’incarnation de cette notion et permet d’accroître la confiance sans surcoût pour les clients.

 

B. Un bénéfice réel pour les clients sans surcoût

 

Le principal intérêt de l’inter-cabinet ne se mesure pas en pourcentage, mais en expérience client.

Pour le vendeur, c’est la garantie d’avoir un interlocuteur unique qui reste son référent tout en diffusant son bien auprès de confrères qualifiés. Son bien gagne en visibilité sans frais supplémentaires et il conserve une relation de confiance, sans dispersion ni démultiplication des contacts.

 

Pour l’acquéreur, c’est la possibilité d’être accompagné par l’agent qu’il a choisi, tout en accédant à un portefeuille élargi. Aucune surenchère, aucun surcoût : seulement la sérénité de traiter dans un cadre professionnel clair et loyal.

 

Pour les agences, c’est le moyen de travailler en confiance, de mettre en place les meilleures stratégies de commercialisation et d’accompagner au mieux les acquéreurs dans leur recherche, sans pression.

 

En somme, l’inter-cabinet, bien organisé, sert les deux clients, vendeur et acquéreur, sans nuire à aucun. C’est une forme de coopération gagnant-gagnant, fondée sur la confiance et non sur la concurrence.

 

II. L’inter-cabinet, un devoir moral et déontologique

 

Au-delà de ces vertus économiques, la pratique de l’inter-cabinet répond moralement à la primauté de l’intérêt du client (A), qui ressort des textes encadrant la profession d’agent immobilier. D’ailleurs, à bien y regarder, elle pourrait même s’apparenter à une réelle obligation déontologique, sinon juridique (B).

 

A. La primauté de l’intérêt du client

 

L’article 2 du Code de déontologie des professions immobilières (décret n° 2015-1090 du 28 août 2015) précise que les agents doivent exercer leur métier « avec conscience, dignité, loyauté, sincérité et probité ». Ces termes ne sont pas décoratifs. Ils imposent un comportement cohérent : agir dans l’intérêt du client, faire preuve de transparence et éviter toute attitude susceptible de lui nuire.

 

Refuser systématiquement de collaborer avec un confrère, notamment lorsqu’il détient un acquéreur sérieux, revient à placer son intérêt financier avant celui du mandant. C’est donc manquer à la loyauté due au client et à la sincérité qui fonde la relation de confiance, surtout lorsque l’on sait que, selon la Fédération Nationale de l’Immobilier (FNAIM, 2024), les biens proposés en inter-cabinet se vendent en moyenne 30 % plus vite.

 

De même, le Code interdit « tout comportement, action ou omission susceptible de porter préjudice à l’ensemble de la profession ». Or, une attitude de fermeture ou de rivalité systématique entretient l’image négative de « requin », une image contraire à la dignité collective du métier.

Ainsi, sans même évoquer le droit positif, l’inter-cabinet se présente déjà comme une exigence morale : celle d’un professionnel conscient que son rôle dépasse la transaction et s’ancre dans la représentation d’un métier.

 

Mais ne serait-il pas possible d’aller plus loin ? Bien que le respect du principe de liberté contractuelle ne puisse théoriquement obliger des parties à co-contracter, ne serait-il pas possible de tendre vers une obligation sui generis vertueuse aussi bien sur le plan économique qu’humain ?

 

B. Vers une obligation juridique de la collaboration inter-agences ?

 

Si le Code de déontologie ne mentionne pas explicitement l’obligation de collaborer, son esprit y conduit presque naturellement.

Le devoir de conseil, reconnu par la jurisprudence (notamment Cass. 3e civ., 21 décembre 2023, n° 22-20.045), impose au professionnel d’informer, de vérifier et d’agir dans le meilleur intérêt du client. Or, refuser une collaboration susceptible de permettre la réalisation du mandat revient à omettre une solution favorable, donc à restreindre les moyens d’exécution de ce devoir.

 

Sous cet angle, la coopération inter-cabinet pourrait être interprétée comme une obligation fonctionnelle : un prolongement logique de la loyauté, de la sincérité et de la probité exigées par le décret.

 

Certes, cette lecture s’oppose à la liberté contractuelle et à l’indépendance de chaque agent. Mais la déontologie, par nature, encadre cette liberté lorsqu’elle menace l’intérêt du client ou l’image du métier.

 

L’inter-cabinet apparaît donc comme un équilibre vertueux entre liberté et responsabilité : une pratique libre dans sa forme, mais quasi obligatoire dans son esprit.

 

Vincent DEWILDE, Juriste et fondateur de BARON HABITAT - Skipper de l'immobilier